Transformer les élèves en game designers : c’est riche de cette expérience que le projet Atlantide a pû naître. Durant l’été 2020, le studio Atlantide apparaît sur mon radar.
Durant l’année scolaire 2020-2021, une vingtaine d’élèves du collège Antoine Audembron (Thiers) ont eu l’opportunité de créer leurs jeux de pistes numériques géolocalisés. Ces jeux avaient pour objectif de raconter des épisodes de l’histoire de la ville de manière ludique. Cet article vous présente les ambitions du projet et les contours de sa mise en œuvre. Bonne lecture !
Le studio Atlantide : c’est quoi ?
Atlantide est une agence temporelle de défense du passé contre le Syndicat, une organisation qui cherche son profit dans les changements temporels ! Plus sérieusement, Atlantide est une start-up montpelliéraine qui propose d’une part des jeux d’enquête géolocalisés et d’autre part un éditeur en ligne permettant de créer des jeux d’enquête sans avoir à coder. Leur outil, basé sur le visual-scripting, est d’une grande simplicité d’utilisation. N’importe qui peut fabriquer un jeu de piste numérique.

Faire découvrir l’histoire autrement…
Depuis trois ans, l’ambition d’Atlantide est de faire découvrir l’histoire et le patrimoine de manière ludique. Elle n’est pas la seule entreprise à avoir eu cette idée. On trouve partout en France des approches similaires comme Pépit dans l’Allier ou Foxie. La vraie plus-value des jeux Atlantide est la présence de cette narration interne au jeu qui invite les joueurs à être acteur d’une aventure. Sans cette narration, les déplacements et énigmes sur les bâtiments historiques seraient moins engageants pour les joueurs.
… et faire jouer les élèves
Après avoir découvert le moteur, deux possibilités d’utilisation en classe sont apparues :
- La première était de créer des jeux de piste pour les élèves. Ces jeux auraient permis d’aborder des événements de l’histoire de Thiers ou des notions historiques. Les élèves auraient appris en jouant.
- La deuxième possibilité était de faire créer des jeux de piste aux élèves.
J’ai été séduit par la deuxième option qui semblait être une évolution de l’expérience : Voyages en Résistances. En effet, le jeu permettrait d’intégrer uniquement des travaux synthétiques d’élèves. Atlantide offrait la possibilité d’inclure des créations plus complexes et plus ludiques. Chaque élève ou groupe d’élèves avait la possibilité de créer sa propre histoire. Atlantide permettait aussi de dépasser le cadre de la Seconde Guerre mondiale et d’aborder d’autres temps de l’histoire thiernoise, notamment le développement de la coutellerie.
La mise en place d’un atelier au collège
À la rentrée 2020, nous avons mis en place un atelier au collège Audembron[1]. L’objectif : faire écrire et réaliser des jeux de pistes aux élèves avec les contraintes suivantes :
- Se baser sur un événement ou un personnage historique de Thiers.
- Faire visiter un lieu historique en inventant une énigme visuelle sur lui
- Le jeu devait durer 30 minutes et faire maximum un kilomètre de distance.

Avec l’aide de la CPE, nous avons constitué un groupe de 20 élèves, de la 6e à la 3e à qui le projet a été expliqué lors d’une séance de découverte en classe[2].
L’atelier se déroulait tous les jeudis sur le temps méridien. Romain Aymard est venu expliquer le projet au collège.
[1] En réalité, l’atelier n’a pu être mis en place qu’en janvier à cause de la crise sanitaire
[2] Lors de la deuxième année, nous avons organisé une heure de découverte dans la ville, durant laquelle, les élèves intéressés ont pu jouer aux jeux créés l’année passée.
Le dispositif pédagogique
Pour réussir ce défi, nous avons découpé le processus en 8 grandes étapes qui s’imbriquent. Tout au long du projet, Romain Aymard est resté en contact régulier avec les élèves grâce à la création d’un espace de travail partagé sur l’ENT.
1) Trouver un sujet
La première étape a été la sélection d’un sujet. Nous avons laissé les élèves choisir leur sujet. Nous avons été surpris par la méconnaissance de l’histoire de leur ville. Cela nous a confortés dans notre idée que ce projet était utile à nos élèves et sans doute aux habitants de la ville. Les élèves ont choisi les sujets suivants :
- La venue de George Sand à Thiers
- Antoine Audembron
- Jean Vignol, coutelier thiernois au temps de Louis XV
- Le Jacquemart, sculpture horloge sur la place de la mairie
- La Résistance à Thiers
- La libération de la ville de Thiers en août 1944
- Saint-Genès de Thiers
2) Faire des recherches documentaires

Commence alors la phase de recherche documentaire à proprement parler. Sur cette étape, les élèves ont été accompagnés par les professeurs documentalistes du collège. Avec elles, nous avons revu la méthodologie de recherche documentaire (où chercher des informations ? Comment juger la fiabilité d’une source ? etc.). Les élèves commencent par des recherches dans les fonds documentaires du CDI
(où de nombreuses ressources documentaires traitent de l’histoire locale) avant de s’engouffrer dans les méandres d’Internet. Les recherches doivent aussi se faire in-situ. Nous nous sommes rendus compte que les élèves ne connaissaient pas bien leur ville et les monuments qui s’y trouvent.
Les élèves ont aussi pu rencontrer Florence Grangeponte, archiviste municipale. Lors d’une séance de présentation, l’archiviste a pu expliquer son métier, l’importance des Archives et aider les élèves à se renseigner sur leur sujet.
3) Le pitch
À partir de leurs recherches, les élèves écrivent le pitch de leur jeu. C’est l’histoire résumée en 2 phrases maximum. Le pitch doit susciter l’intérêt du joueur dès la première lecture, il doit ouvrir sur une intrigue qui sera résolue dans l’enquête. Tout au long de la création du jeu, les élèves doivent garder en tête le pitch afin de créer une aventure qui a du sens pour le joueur.
Voici quelques pitchs écrits par les élèves :
- En 1898, Antoine Audembron s’est fait voler le titre de propriété du bâtiment qui deviendra le premier collège de la ville.
- En 1859, George Sand s’est fait dérober le manuscrit de son livre La Ville Noire alors qu’elle était en voyage à Thiers.
4) Découverte du moteur

Après l’écriture des pitchs, Romain a présenté le moteur du jeu. Cette découverte se fait en amont de la manipulation par les élèves. En effet, il est très important que les élèves connaissent les possibilités du moteur avant de rentrer dans la phase d’écriture de leurs jeux :
- la création de personnages,
- la création de dialogues et les possibilités de ramification,
- l’inclusion de documents visuels,
- la création de coffres verrouillés,
- l’écriture d’anecdotes
- et surtout la création de POI : les points géolocalisés)
5) Écrire l’histoire : le storyboard
Une fois le cadre trouvé (pitch) et les possibilités techniques connues (moteur), les élèves écrivent le déroulé de leur histoire : le storyboard. C’est le déroulé de l’histoire en intégrant les actions/intentions des joueurs. Il permet de comprendre ce que fait le joueur à un endroit, pourquoi il va devoir aller dans un autre endroit, etc.. Lors de l’écriture du storyboard, il faut toujours garder en tête le pitch et penser à la cohérence de l’aventure.
Par exemple, les élèves travaillant sur George Sand ont choisi le point de départ à l’hôtel de l’Aigle d’Or, où dormait l’autrice. Puis, ils ont choisi différents lieux où le joueur pouvait retrouver des pages manquantes du manuscrit. L’objectif à la fin du jeu étant d’avoir retrouvé toutes les pages.
C’est une des étapes les plus difficiles pour les élèves. Ils ont rencontré de grandes difficultés à imaginer un scénario autour du sujet historique choisi.
6) Mettre du jeu : inventer les énigmes
Cette étape intervient juste après l’écriture du storyboard. Durant cette étape, les élèves réfléchissent aux énigmes à proposer aux joueurs. Ces énigmes permettent de créer du lien entre les différents éléments du jeu : Comment je me rend d’un point à un autre ? Comment j’obtiens le code pour déverrouiller le coffre ? etc…
Il est possible de créer plusieurs types d’énigmes :
- des énigmes visuelles : le joueur doit chercher la réponse à l’énigme dans son environnement (détail d’un bâtiment, panneau de rues, etc.)
- des énigmes logiques (répondre à un rébus, comprendre un déplacement avec un poème, etc.)
Durant cette étape, on entre dans le domaine de l’escape game. Les énigmes peuvent être très diverses. Par exemple, les élèves ayant travaillé sur Antoine Audembron ont décidé de finir leur jeu de piste par un dialogue avec le protagoniste qui demande de décrire les sculptures qui se trouvent au-dessus des portes.
7) Rendre le jeu vivant : la numérisation
La numérisation est la dernière étape. C’est le moment où on transpose le jeu que l’on a imaginé dans le moteur de jeu. Avec la technologie de visual scripting, cette étape ne nécessite aucune connaissance de langage informatique. Il suffit de comprendre la logique des déclencheurs (A déclenche B quand A est accompli).

C’est une étape qui n’est pas évidente pour les élèves, il faut leur laisser du temps. Cette étape est clairement facilitée par la rédaction des GDD. Ils doivent être précis et clairs sur le déroulement de l’aventure et la mise en scène.
8) Expliquer et diffuser : devenir des vulgarisateurs
Une fois les jeux créés, numérisés, testés et déboguer, il ne restait plus qu’à les présenter publiquement. Il s’agissait d’un des objectifs de cet atelier. Les créations des élèves devaient être montrées et jouées dans notre cas. La crise sanitaire nous a empêché d’organiser une grande cérémonie publique telle que nous l’avions imaginée. Toutefois, début juillet, les élèves ont pu présenter leurs jeux lors d’une réunion publique à la Mairie de Thiers devant des membres du conseil municipal, quelques parents et enseignants. Durant l’été, les jeux ont ensuite pu être essayés par les habitants et ont même été mis en avant par l’office du tourisme dans le cadre des Journées Européennes du Patrimoine.